Le Museum
septembre 2013
Extrait:Tout avait pourtant commencé si gentiment, oui, une gentille brume.Le Museum.Retenez ce mot, retenez-le bien.Ne l’oubliez pas, non.Ah ! Faisons les présentations. Car il faut bien se présenter, surtout lorsqu’on n’y voit rien du tout, surtout lorsqu’on n’a rien à voir.Donc.On me connaît comme une jeune femme d’esprit. Une universitaire respectée, oui, une diplômée qualifiée, comme il se doit dans une contrée civilisée. Plus précisément, l’universitaire est historienne, une mémorialiste convaincue. Le passé explique tout, par-dessus tout le présent, ... par-dessus tout l’avenir. Puisqu’en Histoire on aime à se confiner, on finit par se spécialiser. Me spécialise pour ma part dans l’histoire ancienne. Une antiquiste, qui s’intéresse surtout à l’effondrement des civilisations, des civilisations anciennes il va sans dire. S’agit de les ausculter à leur agonie, de formuler quelques diagnostics. Dès mon entrée à la Faculté, on me surnommait l’Ancienne. Un sobriquet pour le moins cocasse, n’étant pas très âgée. Aussi est-il préférable de m’appeler Docteure. Tout simplement.En dehors de la Faculté, l’antiquiste est naturaliste à ses heures, oui, tient à jour un herbier, tient aussi à jour un bestiaire. Une naturaliste qui s’intéresse avant tout aux espèces à l’article de l’extinction, il s’agit de les ausculter à leur agonie, de formuler quelques diagnostics. Des plantes et des bêtes anonymes dont vous ne soupçonnez pas l’existence; un faible pour les êtres minuscules, les bestioles. Il s’agit de les tirer de l’oubli, officieusement, avant qu’elles ne s’effacent, officiellement. Une sorte de secourisme de dernière minute, secourisme le plus souvent stérile vous en conviendrez. Il est arrivé qu’une espèce s’éteigne sous mes yeux, m’obligeant à marquer sa page d’une croix, oui, d’une croix, bien qu’étant athée (m’en confesse). Puis retourne à mes civilisations, à savoir mes civilisations disparues.Donc.Docteure ès disparition, à la fois antiquiste et naturaliste. Il n’y a pas de contradiction, au contraire, au contraire. Dans la nature comme dans le temps, il est souvent question d’invasion, d’ensablement, c’est toujours la loi du plus fort. Journaliste en quelque sorte, oui, journaliste d’hier ou d’aujourd’hui, du pareil au même. Après tout, le présent n’est toujours qu’à un instant du passé. Le devoir de mémoire m’obnubile, il faut publier, tenir registre. Comme il se doit dans une contrée civilisée.Voilà à peu près mon portrait.Ou plutôt le portrait que l’on pouvait tirer, auparavant.C’est-à-dire avant le cataclysme.