Un héritier incandescent

Il est né dans l’or, mais a vécu dans l’ombre d’un trône trop grand pour lui. Gianni Agnelli, dit "l’Avvocato", était le petit-fils du fondateur de Fiat, dynastie industrielle qui incarna à elle seule l’ascension de l’Italie moderne. Beau, élégant, insolent, séducteur hors pair, il a longtemps été l’incarnation du style italien dans ce qu’il avait de plus magnétique — et de plus énigmatique.

Dans ce roman biographique, Stéphanie des Horts dresse le portrait d’un homme fascinant, tiraillé entre devoir familial, désirs personnels, éclats publics et blessures secrètes.

L’enfant des dieux et des doutes

Dans la famille Agnelli, la grandeur est une obligation. La mère, Virginia, est une beauté préraphaélite, glaciale et vénérée. Le père, Edoardo, fantasque et insaisissable, semble tout droit sorti d’un roman de Scott Fitzgerald. Au sein de cette tribu aristocratique et fantasque, Gianni est le second enfant, mais il sera celui que l’histoire retiendra.

Trop vite propulsé dans le costume d’héritier, Gianni Agnelli ne cesse pourtant de se sentir illégitime. Son drame intime ? Ne jamais avoir été sûr d’être à la hauteur de l’empire qu’on lui confie. Une faille qui façonne un homme toujours en fuite : de lui-même, des responsabilités, et parfois des sentiments.

Fêtes, guerres et passions

Soldat fasciste rallié aux Alliés, Gianni traverse la guerre comme il traversera le reste de sa vie : avec panache. Au sortir du conflit, il devient la figure emblématique d’une Italie renaissante. On le croise à la table des grands de ce monde : Churchill, Kennedy, Fellini, Onassis… toutes les légendes l’entourent, toutes les femmes le désirent.

Pamela Churchill, Jackie Kennedy, Anita Ekberg... mais aussi sa femme Marella, discrète et stylée, qui incarnera l’élégance au bras d’un homme que rien ne semble pouvoir retenir. Car pour Gianni, la vie est une succession de fulgurances, entre les nuits décadentes de la Riviera, les virées en yacht, les excès de luxe et les excès tout court.

L’élégance comme armure

Stéphanie des Horts excelle à peindre les contrastes. Derrière l’homme le plus photographié d’Europe, elle dévoile une solitude glacée, un regard désabusé, une blessure de naissance jamais refermée. Gianni Agnelli fait partie de ces personnages que l’on pense connaître parce qu’ils ont vécu sous les projecteurs — mais dont la vérité ne se laisse approcher que dans les creux de la lumière.

Son obsession pour le style, ses choix audacieux (comme porter la montre sur la manche de sa chemise), ses silences, ses colères, tout devient geste théâtral… et camouflage.

Une Italie comme décor de tragédie

Le roman est aussi le portrait d’un pays. L’Italie des Trente Glorieuses, du boom économique, du cinéma et du glamour. Une Italie qui fascine, qui brûle les étapes, et qui finira, comme Gianni, par douter de son propre éclat.

Avec sa plume mordante et élégante, Stéphanie des Horts transforme la biographie en épopée. Chaque chapitre vibre d’anecdotes savoureuses, de dialogues intérieurs poignants et de scènes de pure fiction nourries de faits réels. Une manière de rendre justice à un personnage plus complexe que ne le laissent penser ses photos en noir et blanc.

L’homme, le mythe, la chute

Gianni le Magnifique n’est pas un simple hommage. C’est une exploration romanesque des contradictions d’un homme devenu légende. L’auteur évite l’hagiographie pour creuser dans les interstices : ceux où l’élégance frôle le désespoir, où l’héritage devient fardeau, et où la vie, malgré tout, reste un vertige fascinant.

Un roman d’une grande finesse sur les illusions de la grandeur et la fragilité derrière les masques dorés.