Dans un monde où les réseaux sociaux amplifient chaque image, chaque geste et chaque tenue vestimentaire, l’appropriation culturelle est devenue l’un des sujets les plus explosifs du débat public. Entre indignation, incompréhension et instrumentalisation politique, la discussion semble figée dans un duel stérile. C’est précisément pour rompre ce cercle que Khémaïs Ben Lakhdar Rezgui signe L’appropriation culturelle, un texte rigoureux, documenté et accessible, qui propose de dépasser les slogans pour comprendre en profondeur ce concept aussi flou qu’omniprésent.
Quand le débat devient un champ de bataille
L’expression « appropriation culturelle » est aujourd’hui utilisée à tout propos : coiffures, plats traditionnels revisités, motifs textiles, musiques, danses… Chaque emprunt culturel est scruté, jugé, parfois condamné. Pour certains, il ne s’agit que de circulation naturelle des idées et des esthétiques, un signe de métissage et d’ouverture. Pour d’autres, c’est une réappropriation injuste, où la culture dominante puise dans les traditions marginalisées sans en reconnaître l’histoire ou les luttes.
Problème : faute de définition claire et partagée, chaque camp s’accroche à sa propre interprétation, et les échanges tournent rapidement à l’affrontement.
Un retour aux origines du concept
Pour éclairer ce brouillard idéologique, Khémaïs Ben Lakhdar Rezgui remonte à la genèse du terme et à ses premières utilisations dans les sciences sociales. L’auteur explique comment ce « cannibalisme culturel » s’est d’abord observé dans des contextes historiques précis : la naissance de la Haute couture et son appropriation d’éléments exotiques, l’industrialisation qui transforme les artisanats en produits de masse, ou encore le colonialisme qui impose aux pays colonisés un regard extérieur sur leur propre culture.
Ce voyage historique montre que l’appropriation culturelle ne naît pas d’un simple échange innocent, mais souvent dans un rapport de pouvoir déséquilibré.
Entre outil scientifique et slogan militant
Ce qui, au départ, relevait d’un cadre d’analyse académique s’est progressivement mué en arme rhétorique dans l’espace public. L’auteur décrypte cette transformation : comment une notion issue des sciences humaines a été reprise par des mouvements militants pour dénoncer les inégalités et revendiquer plus de respect dans les échanges culturels.
Si cet usage militant a permis de visibiliser des injustices bien réelles, il a aussi parfois conduit à figer le concept, en l’opposant à toute idée de partage culturel, et en donnant lieu à des accusations expéditives.
Dépasser l’impasse
Ce qui rend L’appropriation culturelle précieux, c’est que l’ouvrage ne s’arrête pas à la critique. Après avoir exposé les origines et les tensions, Khémaïs Ben Lakhdar Rezgui propose une approche constructive : plutôt que de condamner ou d’absoudre en bloc, il invite à examiner chaque cas à la lumière de questions essentielles. Y a-t-il reconnaissance des sources ? Existe-t-il un bénéfice concret pour la communauté d’origine ? L’échange se fait-il dans un cadre égalitaire ou au contraire dans un contexte d’exploitation ?
Ce déplacement du débat permet de sortir du réflexe émotionnel pour entrer dans une réflexion nuancée.
Encourager les échanges… en conscience
Loin de prôner un repli sur soi ou une séparation stricte des cultures, l’auteur défend l’idée que le dialogue interculturel est une richesse inestimable. Mais pour qu’il soit réellement bénéfique, il doit se faire avec lucidité, en reconnaissant les mécanismes de domination économique, politique et symbolique qui peuvent parasiter ces échanges. Ce n’est qu’en ayant conscience de ces rapports de force que l’on peut bâtir un partage culturel respectueux et équitable.
Un livre pour reprendre la parole
En refermant L’appropriation culturelle, on comprend que la question n’est pas de savoir si l’on peut « porter un kimono » ou « cuisiner un plat indien », mais plutôt de réfléchir aux conditions dans lesquelles ces gestes s’inscrivent. L’ouvrage devient ainsi un outil pour réouvrir le dialogue, loin des polémiques stériles, en permettant à chacun de s’approprier (dans le bon sens du terme) les connaissances nécessaires pour argumenter.
Khémaïs Ben Lakhdar Rezgui signe un texte à la fois érudit et clair, qui donne envie d’aborder la diversité culturelle avec respect, curiosité et sens critique.
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