Entre solitude du quotidien et refuge dans la nostalgie, Ici, tout va bien de Cédric Le Calvé dresse un portrait sensible et piquant d’un homme à la retraite confronté à l’ennui, au vieillissement… et à une expérience hors du commun. Ce roman aborde avec finesse notre relation au passé, la tentation du repli dans une époque idéalisée, et les dangers d’un monde où l’illusion peut devenir plus confortable que la réalité.

La nostalgie comme refuge

Le personnage principal est un ancien instituteur à la retraite, un homme ordinaire dont la vie s’écoule paisiblement, presque mécaniquement. Son unique véritable joie ? Les visites de Constance, sa petite-fille, qui vient illuminer sa routine de son énergie juvénile. Lorsque celle-ci lui offre un billet pour un parc d’attractions des années 80, c’est une bouffée d’air inattendue… mais aussi le point de départ d’un bouleversement intérieur.

Ce parc immersif n’est pas un simple décor : il reconstitue avec une fidélité déconcertante la France de l’époque Mitterrand, du minitel à la Twingo, des tubes pop à la publicité vintage. Une époque où le personnage principal était jeune, actif, utile — du moins dans ses souvenirs. Ce décor devient un miroir flatteur, un abri contre l’insignifiance du présent. Et c’est là que le récit bascule.

Un passé trop parfait pour être vrai

L’originalité du roman réside dans sa critique subtile du phénomène de “rétro-réalité”. Ce parc à thème n’est pas qu’un clin d’œil amusé aux souvenirs d’enfance : il questionne le besoin croissant de fuir le présent. À travers les yeux du narrateur, le lecteur découvre à quel point ces mises en scène sont séduisantes — mais aussi à quel point elles peuvent être aliénantes.

Cédric Le Calvé glisse alors progressivement vers une forme de dystopie douce : et si le passé reconstitué devenait une prison dorée ? Et si, à force de préférer l’illusion au réel, on perdait notre capacité à agir, à évoluer, à vivre dans l’instant ? L’écriture, fluide et empathique, accompagne cette réflexion sans jamais verser dans la leçon de morale.

Vieillir dans un monde qui va trop vite

Le roman traite aussi avec tendresse du vieillissement. Le protagoniste n’est pas caricaturé en “vieux grincheux”, mais dépeint avec beaucoup d’humanité : il est lucide sur sa solitude, touché par le manque de lien social, et un peu perdu dans une société qui semble lui échapper.

Le parc des années 80 lui offre un sentiment de maîtrise, de familiarité. Mais il met aussi en lumière un certain isolement : dans un monde en perpétuelle mutation, où les repères changent vite, la tentation du passé devient aussi un aveu d’impuissance.

Ce thème résonne particulièrement dans une époque où la fracture générationnelle se creuse, et où de nombreux seniors se sentent “déconnectés”. Ici, tout va bien n’élude pas cette tension, mais l’aborde avec nuance, humour et émotion.

Une critique subtile de la marchandisation des souvenirs

Au-delà de la psychologie du personnage, Cédric Le Calvé pointe aussi un phénomène plus large : la marchandisation de la nostalgie. Le parc à thème est une entreprise commerciale, qui monnaye les souvenirs et transforme les émotions en produit d’appel. Téléphones à cadran, posters d’époque, boîtes de biscuits rétro… tout est calibré pour séduire une génération en quête de repères.

Mais derrière le vernis rassurant, le roman interroge : cette reproduction du passé est-elle sincère ? À qui profite-t-elle vraiment ? Et pourquoi avons-nous tant besoin de nous y raccrocher ? Le lecteur, tout en suivant l’intrigue, est amené à s’interroger sur ses propres souvenirs : que cherchons-nous dans les objets vintage, les playlists old school, les séries des années 90 ?

Une fiction douce-amère à l’humour discret

Ici, tout va bien n’est jamais pesant. L’auteur manie avec brio une forme d’ironie douce, presque mélancolique, qui rappelle le style de Jean-Philippe Blondel ou de David Foenkinos. Le roman évite les effets spectaculaires au profit de moments simples : un souvenir retrouvé, une discussion touchante, un malaise diffus.

La construction narrative joue aussi avec les attentes du lecteur. Le parc semble au départ être un décor anecdotique, avant de devenir un lieu central, presque oppressant. Ce glissement progressif donne au roman un relief inattendu : la légèreté du ton masque une critique plus profonde de notre rapport à la mémoire collective.

Pour qui est ce roman ?

Ce roman s’adresse aussi bien à un public adulte nostalgique qu’aux jeunes lecteurs curieux de mieux comprendre la transmission intergénérationnelle. Il ravira les amateurs de récits contemporains introspectifs, qui mêlent émotion et réflexion.

On y retrouve l’atmosphère d’un Black Mirror en version douce, ou celle de L’Anomalie d’Hervé Le Tellier, dans sa capacité à jouer avec les codes du réel et de la fiction pour mieux interroger notre société.

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