Le choc de l’urbanité et de l’héritage. Le cri d’une mémoire qu’on a tenté d’ensevelir. Dans les rouges pour la fin, Malorie Y Picard nous livre un texte inclassable, entre poésie engagée, fable contemporaine et récit d’identité fracturée. Une œuvre courte mais dense, aux allures d’apocalypse intérieure, où chaque mot semble vouloir recoller les morceaux d’un soi oublié.
Portée par une voix vive, urgente et indocile, cette œuvre nous invite à suivre une poète d’Hoch’lag, perdue entre ses origines évanouies et un monde qui ne fait que la pousser à s’assimiler. Un hibou qui parle, une mamie qui veille dans l’ombre, des bécosses et des ruelles montréalaises… Tout devient matière à réflexion, tremplin poétique, territoire à reconquérir.
Quand l’oubli devient une langue
Le cœur du livre bat autour d’une question lancinante : que reste-t-il de nos racines quand elles ont été arrachées sans qu’on s’en rende compte ? Pour la narratrice, le choc culturel est permanent, non spectaculaire mais omniprésent. Elle est le fruit d’un monde qui a perdu le lien avec ses aïeux, ses terres, ses récits.
Ce déracinement est raconté non pas comme un drame figé, mais comme une expérience poétique et sensorielle. Malorie Y Picard n’explique pas : elle fait ressentir. Elle joue avec la langue comme avec un fil fragile entre deux identités. Le français québécois y côtoie des fragments de culture autochtone et de langue populaire, pour mieux faire entendre la polyphonie intérieure d’une génération tiraillée.
Dans cet univers brisé, les mots deviennent des refuges. Ou des armes. Ou les deux à la fois.
Entre apocalypse intime et dénonciation politique
L’apocalypse dont il est question ici n’est pas forcément celle des flammes et des trompettes. C’est l’effondrement progressif d’un lien à soi, à son histoire, à sa lignée. C’est ce moment de bascule où, à force de s’être fondu dans une société qui ne nous ressemble pas, on ne sait plus où est sa place.
À travers le regard de la narratrice, c’est toute la violence symbolique de l’assimilation culturelle qui est mise en lumière — mais sans jamais verser dans la victimisation. Le texte est habité par une colère lucide, une tendresse rugueuse, et surtout un désir de renouer, de comprendre, de réinventer ce que pourrait être une identité réconciliée.
La grand-mère, personnage discret mais central, symbolise cette mémoire encore vivante, parfois silencieuse mais prête à ressurgir si on l’écoute. Elle est la gardienne des légues perdus, cette filiation que la modernité a voulu faire taire mais qui revient frapper aux portes du poème.
Une écriture performative, ancrée dans la rue et le rêve
Avec les rouges pour la fin, Malorie Y Picard adopte une écriture à la fois brute et lyrique, qui s’inspire autant du slam, de la tradition orale que du théâtre engagé. Le texte semble fait pour être dit, crié, vécu. Les images sont puissantes, les ruptures de ton fréquentes, les allers-retours entre introspection et dénonciation constants.
C’est une œuvre de feu, de bitume et de chair, où le spirituel côtoie le trivial, où les bécosses deviennent des lieux de réflexion existentielle, et où un hibou qui parle peut déclencher une prise de conscience.
Le livre refuse les cases, il les éclate. C’est une expérience littéraire à part entière, qui exige du lecteur une écoute active, une ouverture, une disponibilité à accueillir l’inconfort de la parole minoritaire, et la beauté brute qu’elle transporte.
Un appel à se rappeler qui l’on est… avant qu’il ne soit trop tard
les rouges pour la fin n’est pas un livre à lire vite. C’est un texte à ressentir, à relire, à laisser infuser. Il s’adresse à toutes celles et ceux qui se demandent : « À quoi je tiens, quand on m’a appris à tout oublier ? » C’est un cri d’amour pour les racines, même abîmées, un chant de résistance intérieure, une tentative de reprendre possession d’un territoire intime et collectif.
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