Il existe des livres qui ne ressemblent à aucun autre. Poisson d’eau douce de Jocelyn Sioui en fait partie. À mi-chemin entre le récit historique, le conte satirique et l’aventure poético-politique, ce livre poursuit le travail entamé avec Frétillant et agile en redonnant vie à un héros wendat improbable, naviguant entre légendes réinventées et vérités qu’on aurait préféré oublier.
Jocelyn Sioui ne raconte pas seulement des histoires. Il trouble volontairement les eaux de la narration, pour mieux nous obliger à réfléchir à ce que nous croyons savoir de l’Histoire — celle avec un grand H —, de la mémoire collective, et des identités autochtones façonnées, effacées ou exagérées au fil du temps.
Un héros wendat pas comme les autres
Au centre de cette odyssée décalée, on retrouve Auhaïtsic, un personnage à la fois fictif et ancré dans les interstices oubliés des récits historiques. Figure libre et insaisissable, il n’est ni le héros conventionnel, ni l’icône idéalisée. Il est le poisson d’eau douce, celui qui glisse entre les catégories, les étiquettes, les dogmes.
À travers lui, l’auteur explore le territoire mouvant entre le vrai et le vraisemblable, jonglant avec des faits historiques, des détournements absurdes, et une bonne dose d’autodérision.
Le style de Sioui est reconnaissable entre mille : vif, ironique, truffé de références culturelles, politiques, historiques, qui s’entrechoquent pour créer un patchwork narratif riche et intelligent. C’est une œuvre qui prend plaisir à défier les cadres traditionnels de la littérature dite « engagée », tout en l’étant profondément.
Entre satire et transmission : une lecture à double fond
Sous ses airs de péripéties déjantées, Poisson d’eau douce aborde des sujets sérieux : la déformation de la mémoire autochtone, la manière dont l’Histoire a été racontée — et écrite — sans les peuples concernés, les clichés folkloriques qui persistent dans les imaginaires collectifs.
Jocelyn Sioui ne se contente pas de dénoncer. Il construit, déconstruit, et surtout rejoue la narration, en intégrant l’humour comme arme de résistance. Le ton est souvent mordant, mais jamais amer. L’auteur utilise le rire pour ouvrir la réflexion, et la fiction pour combler les silences du passé.
Son écriture, à la fois orale et littéraire, joue avec le rythme, les ruptures, les clins d’œil. Il en ressort une lecture ludique, mais toujours exigeante, qui pousse le lecteur à « pagayer » lui aussi — entre les lignes, les références, les vérités.
Une autre façon de lire le passé
Poisson d’eau douce s’inscrit dans une dynamique contemporaine où la littérature autochtone refuse d’être enfermée dans un cadre figé. Plutôt que d’expliquer ou d’éduquer de manière frontale, Sioui propose une immersion dans un univers où les règles du récit sont réécrites par ceux qui en ont été exclus.
À travers cette mise en récit éclatée, ce sont les notions de territoire, de héros, de mémoire et de représentation qui sont interrogées. Qui a le droit de raconter ? Qui décide de ce qui est vrai ou non ? Et que fait-on des zones floues, des récits oraux, des figures oubliées ?
Une œuvre inclassable et précieuse
Il serait réducteur de qualifier Poisson d’eau douce de simple « récit autochtone ». C’est une expérience littéraire complète, qui mêle l’humour, l’intelligence et la subversion avec brio. Une œuvre qui se lit comme un jeu — un jeu sérieux, parfois dérangeant, toujours éclairant.
Jocelyn Sioui nous rappelle que l’Histoire ne coule jamais en ligne droite, qu’elle bifurque, qu’elle se contredit, et que parfois, il faut apprendre à pagayer à contre-courant pour en découvrir les véritables courants souterrains.
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