À quoi pense une femme qui peint une autre femme en train d’écrire ? Que cherche-t-elle à figer dans la lumière du cadre, dans le geste arrêté ? Avec La femme nouvelle selon Gabriele Münter, Florence Mauro ne se contente pas d’imaginer la vie de la peintre allemande — elle explore aussi la genèse d’un regard artistique profondément lié à l’émancipation féminine.
Construit à partir du tableau Dame assise dans un fauteuil écrivant, le roman retrace la trajectoire intime et artistique de Gabriele Münter entre 1904 et 1929, entre Murnau, Berlin, Paris et Stockholm. Mais au-delà du portrait d’une artiste méconnue, c’est aussi une réflexion sur le regard féminin, la représentation des femmes, et la naissance de la modernité que propose l’autrice.
Gabriele Münter : une femme en avance sur son temps
Gabriele Münter, souvent cantonnée au rôle de « compagne de Kandinsky », fut pourtant une peintre majeure de l’avant-garde allemande, et une figure centrale du groupe expressionniste Der Blaue Reiter. Florence Mauro choisit ici de lui redonner voix et corps, en reconstituant les jalons de sa vie artistique, mais aussi les bouleversements qui l’ont transformée — personnellement, picturalement, intimement.
Le roman commence en 1904, au bord du Rhin. Gabriele voyage avec sa sœur, prête à rejoindre Vassili Kandinsky, son grand amour. L’histoire aurait pu être celle d’une muse — mais elle devient celle d’une femme libre, observatrice du monde, et déterminée à le traduire avec ses propres couleurs.
Du paysage au portrait : changer le cadre
L’une des forces de ce texte réside dans son analogie permanente entre les toiles de Münter et son évolution intérieure. Dans une étude de paysage de 1904, une silhouette féminine n’est qu’un détail, minuscule, noyée dans le décor. En 1929, cette figure devient le sujet principal d’un tableau radicalement moderne : une femme en pyjama, cheveux courts, concentrée sur son écriture. Le regard a changé. La représentation aussi.
En suivant cette transformation, Florence Mauro interroge ce que signifie "peindre la modernité" quand on est une femme. Comment passer de l’ombre à la lumière, de l’objet à l’autrice ? Gabriele ne peint pas des madones idéalisées, mais des femmes réelles, actives, émancipées. Elle-même devient peu à peu cette femme nouvelle qu’elle cherche à représenter.
Une réflexion sensible sur l’indépendance et la création
La femme nouvelle selon Gabriele Münter n’est pas un simple roman biographique. Il propose une plongée dans la sensibilité d’une artiste, mais aussi dans les bouleversements sociaux et culturels de l’époque. Le choix du métier de sténographe comme symbole n’est pas anodin : première profession féminine reconnue, il incarne le passage des femmes de la sphère domestique à la sphère publique, leur accès au savoir, à l’écriture, à la parole.
La figure de cette femme écrivant en pyjama — à la fois décontractée, concentrée et libre — devient alors un manifeste silencieux. Elle incarne cette révolution discrète mais radicale du quotidien, du vêtement, du geste : la liberté de créer pour soi-même.
Quand l’art devient mémoire et transmission
Florence Mauro, historienne de l’art, infuse son récit d’une érudition fluide. Chaque scène, chaque tableau évoqué est prétexte à réflexion sur la place des femmes dans l’histoire de l’art, sur la manière dont elles ont été vues, puis ont appris à se voir, et enfin à se représenter.
Le roman s’inscrit aussi dans une actualité vibrante : la grande exposition consacrée à Münter au Musée d’Art Moderne de Paris rend enfin justice à son œuvre. Ce livre, en parallèle, offre une voix romanesque à cette reconnaissance tardive, en donnant à lire ce qu’il y a derrière le cadre, dans les marges du tableau, dans les silences des biographies officielles.
Un hommage littéraire à une pionnière oubliée
Avec La femme nouvelle selon Gabriele Münter, Florence Mauro signe un roman subtil, exigeant et profondément inspirant. Une lecture précieuse pour celles et ceux qui s’intéressent à l’histoire des femmes, à l’art moderne, ou simplement à la puissance du regard individuel face aux normes collectives.
Un livre qui, comme la peinture de Gabriele Münter, interroge notre manière de voir — et de représenter — les femmes qui écrivent, qui pensent, qui créent.
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